Tchernobyl, récits

« Quand j'avais dix ans, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl a explosé. Ce printemps-là, le vent d'est a apporté de grandes quantités de retombées radioactives dans la région du centre de la Norvège où j'ai grandi. Nous étions trois soeurs en train de jouer sous la pluie chargée de césium 137. Mes soeurs ont dû se faire enlever la thyroïde, elles portent à la gorge une cicatrice en forme de bijou." Approchez votre oeil. Collez-le à la lorgnette. Voici le kaléidoscope de Tchernobyl. Hommes, femmes, enfants, babouchkas, adolescents fringants, futures épouses, chiens, esprits, tous vous racontent, à la première personne, l'après-Tchernobyl. Un réacteur, mille vies irradiées, parfois pour le meilleur, quasiment toujours pour le pire. Dans ce texte, Ingrid Storholmen a quitté sa poésie habituelle pour nous livrer un récit poétique polyphonique à la limite de l'étude sociologique, un entremêlement de poignants lambeaux.

 

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L’enfant crie ! Aujourd’hui il est chien-loup, le chien-loup attrape le soleil, l’avale tout cru, le soleil est dans le ventre du chien-loup. L’enfant a peur du noir, des rayons jaillissent de son oreille, quelques-uns, n’empêche, il fait froid et noir à présent. L’enfant lutte, il projette des rayons à travers sa gueule, ça effraie les gens. Les rayons sont empoisonnés, la peau pèle. 

L’enfant crie ! Aujourd’hui il est pluie, la pluie est jaune et colle aux cheveux, elle ne peut pas être nettoyée de l’intérieur, l’enfant pleut, il ne sait pas qu’il est devenu dangereux, la pluie ne veut pas arrêter d’être pluie, elle recouvre les bouleaux porteurs de feuilles neuves, la feuille se ratatine et pèle comme la peau, se ride comme un vieil homme, l’enfant ne pense pas, il pleut comme il l’a toujours fait, pourquoi n’en serait-il pas ainsi, les nuages sont gonflés de vapeur, les fleuves pleins de nuages, dans la terre, la graine attend. 

L’enfant crie ! Aujourd’hui, il est cellules, dans ce qui est plus petit que le petit, le têtard prend de la vitesse et s’attaque lui-même, l’enfant sent l’inquiétude dans son corps, il la sent partout, comme s’il avait été recousu avec des fourmis à l’intérieur, il ne peut pas se gratter, les cellules sont trop molles, les cellules vivent leur propre vie, elles sont contaminées et elles l’ignorent. L’enfant ne peut être autre chose qu’un enfant, il n’y a personne qui puisse lui raconter pourquoi il pleure, il est trop grand et trop petit pour cela. Il ne peut plus avoir confiance dans le fait que tout sera comme cela a toujours été. L’enfant est plus vieux que lui-même, mais ne sait pas que c’est là le début d’un récit.