Connaissance du centre

Cécile Riou se promène dans Bourges et nous livre ses réflexions. Entre curiosités et réflexions savantes, un beau texte sur une  ville.


Certains Auvergnats pensent que l’âme de Picsou habite  sous la peau verte des lentilles. J’entends cette fin de jour  le cri persistant des martinets, comme un trait de craie  sur le tableau, un crissement de clé contre la portière, un  scintillement de voyelles.

 

La ville est si calme qu’elle me paraît salée.

 

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LA PLUIE

Par la double fenêtre qui est en face de moi, un peu sur ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est dix heures du matin : autour de moi, tout est ombre et eau. Je tends la main vers mon clavier, et jouissant de la sécurité de mon enfermement, intérieur, aquatique, comme un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.
Ce n’est pas la bruine qui tombe, ce n’est pas une pluie mélancolique, bretonne et dolente. Le ciel s’est rapproché de la terre et descend sur elle, la serre, d’une attaque puissante. Ça rafraîchit le caniveau de le voir déborder comme une mare d’eau épaisse et jaune. On ne redoute pas que la pluie s’arrête, c’est la bonne quantité, les nappes se remplissent. La terre n’en a jamais assez, la terre est déshydratée. Altérée. Les maisons flottent dans l
acqua alta, les arbres nagent par les racines, même la Seine paraît noyée. Le temps ne m’est pas dur, et, tendant l’oreille, sans le trouble d’aucune indication de l’heure, je médite les tonalités nombreuses et tonitruantes de la pluie.
Cependant même la pluie a une fin, en même temps que le jour et tandis que le ciel, devenu noir, prépare un coup à sa manière et comme Musidora, accrochée dans le ciel, fondant tout droit, les ailes de chauve-souris déployées, sur une dame endormie dans
les Vampires de Feuillade, une araignée noire s’arrête, la tête en bas et suspendue par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte sur le feuillage de l’érable couleur de rouille. Il ne fait plus clair, il faut allumer. J’offre à l’averse la libation de cette goutte de primitivo noir comme de l’encre (sans le verser sur mon ordinateur).